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15/05/2018

Une reconnaissance ambivalente de culpabilité d’un psychiatre grenoblois

Une reconnaissance ambivalente de culpabilité d’un psychiatre grenoblois (An ambivalent recognition of guilt of a Grenoble psychiatrist). Cour d’appel de Grenoble, 15 mai 2018 : n° 17/00189. Revue Droit & Santé ~ RDS© • N° 84 • Juillet 2018. Pierre-Yves CHAPEAU, avocat ; Volodia MIJUSKOVIC, doctorant, Centre européen d’Études et de Recherche Droit & Santé, UMR 5815, Université de Montpellier.

Image d'illustration Code civil

Une reconnaissance ambivalente de culpabilité d’un psychiatre

La cour d’appel de Grenoble a rendu le 15 mai dernier un arrêt reconnaissant la culpabilité du Dr G., psychiatre aujourd’hui retraité, ayant autorisé une sortie dans le parc de l’hôpital d’un patient admis en soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’État (SPDRE).

Le 12 novembre 2008, le patient fuguait du parc de l’hôpital, se procurait une arme blanche et blessait mortellement un étudiant.

Le tribunal correctionnel condamnait déjà en décembre 2016 le médecin à une peine de dix-huit mois avec sursis pour homicide involontaire.

La cour d’appel ne s’écarte pas du jugement de première instance en retenant la responsabilité pénale du psychiatre.

Néanmoins, cette culpabilité reconnue questionne quant au devenir de la profession.

Première condamnation d’un médecin psychiatre pour homicide involontaire en raison de l’autorisation de sortie d’un patient admis en SPDRE, la psychiatrie rentre aujourd’hui dans le droit de la responsabilité.

La reconnaissance nécessaire d’une culpabilité délicate

L’article 121-3 du Code pénal dispose que « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

Premièrement…

La Cour d’appel de Grenoble s’attache à démontrer que le Dr G. a commis une faute caractérisée.

Ainsi, elle va retenir un ensemble d’erreurs ayant conduit à cet événement.

Rappelons qu’une faute caractérisée désigne une faute dont les éléments sont bien marqués et d’une certaine gravité, ce qui indique que l’imprudence ou la négligence doit présenter une particulière évidence (TGI La Rochelle, 7 septembre 2000).

Elle consiste également en l’accumulation d’imprudences ou de négligences successives témoignant d’une impéritie prolongée (Lyon, 28 juin 2001).

La Cour retient que le Dr G. n’a jamais examiné le patient durant les deux années durant lesquelles il a pourtant autorisé régulièrement ce dernier à sortir librement, pour une durée extrêmement limitée. En effet, le patient n’était autorisé à sortir de l’établissement qu’une heure par semaine sans accompagnement.

De surcroît, la cour note que certains certificats médicaux circonstanciés, même signalant sommairement l’état de santé mentale du patient, n’étaient pas signés ; qu’au-delà de l’examen du patient, le prévenu n’a pas même pris connaissance du dossier médical du patient.

Par ailleurs, citant expressément l’article L. 3213-3 du Code de la santé publique dans son ancienne rédaction alors en vigueur au moment des faits, la Cour n’est-elle pas en train de rechercher implicitement une faute qualifiée ?

Elle résiderait alors dans la méconnaissance « d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » trouvant sa source dans l’article précité.

Dès lors, l’absence de consultation du patient par le psychiatre consiste également, selon la Cour d’appel, en une faute qualifiée et peu importe l’angle, les faits reprochés aux psychiatres entrent dans le champ d’application de l’article 121-3 du Code pénal.

Secondement…

Les magistrats grenoblois s’attachent à démontrer que cette faute – qualifiée et/ou caractérisée – expose autrui à un risque d’une particulière gravité.

Or, les faits de l’affaire démontrent que le risque était présent.

Après deux passages en unité pour malades difficiles, deux fugues de l’hôpital, respectivement en septembre 2007 puis octobre 2008, vingt jours avant les faits reprochés, et un précédent acte d’hétéro-agressivité lors de son séjour en maison de retraite où il avait poignardé son voisin de chambre, le patient présentait de manière suffisamment évidente un risque tout particulier pour autrui.

D’autant plus que le Dr G. avait autorisé au cours de l’été 2008, en concertation avec un autre médecin, l’augmentation à la dose maximale du traitement Leponex, soit 900 mg, démontrant « une aggravation au moins temporaire de son état de santé psychique ».

Enfin…

Le patient atteint de schizophrénie était le seul à relever de l’hospitalisation judiciaire, ce qui aurait dû impliquer une attention toute spécifique de la part du personnel soignant.

La Cour retient donc que la faute exposait effectivement autrui à un risque d’une particulière gravité sans omettre que l’extrême gravité du dommage et ses conséquences ne sont pas de nature à qualifier a posteriori la gravité de la faute (Poitiers, 2 février 2001).