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02/04/2015

La victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable

Un nouveau refus de la Cour de cassation d’accueillir un mécanisme qui remettrait en cause le principe de réparation par l’auteur de l’accident de toutes les conséquences dommageables d’un accident corporel (Cour de cassation, deuxième chambre civile, 26 mars 2015, N° 14-16011).

Statue de La Justice
La victime d'un accident de la circulation n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable© jimmy29

La victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable

« Mitigation ». Ce terme un peu obscur pour qui le découvre tient son origine du vocabulaire juridique anglais. Il est d’abord emprunté au latin qui désigne le fait de mitiger, c’est à dire « d’adoucir».

« La mitigation, règle de Common Law, oblige la victime d’un dommage à minimiser celui-ci, lorsqu’elle en a l’opportunité. Une telle règle n’existe pas en droit français, en application de la règle de la réparation intégrale du dommage. » (Marie-Anne Frison-Roche, Glosaire).

Une tentative d’application de cette règle au droit français par le juge de donne lieu à un nouveau refus par la Cour de cassation d’accueillir ce mécanisme qui remettrait en cause le principe de réparation par l’auteur de l’accident de toutes les conséquences dommageables d’un accident corporel (Cour de cassation, deuxième chambre civile, 26 mars 2015, N° 14-16011)

C’est ce qui ressort du premier attendu de cet arrêt du 26 mars 2015 : « L’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ».

En l’espèce, l’avocat d’une victime d’accident de la circulation assigne l’assureur de l’auteur de l’accident et les organismes sociaux en indemnisation de ses préjudices.

La victime a toujours travaillé comme cuisinier : déclarée inapte à cette profession, elle est licenciée.

La Cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 4 septembre 2013, décide que la victime peut avoir « une activité adaptée à ses capacités intellectuelles et physiques restantes » : « Le défaut d’activité professionnelle a pour cause, d’une part, l’état séquellaire consécutif à l’accident de la circulation routière du 23 octobre 2004, et, d’autre part, le refus du poste proposé par l’employeur dès lors qu’un changement de résidence n’était pas impossible matériellement pour la victime ».

Elle retient, par voie de conséquence, que les séquelles de l’accident interviennent pour 50 % seulement comme cause de l’impossibilité de retrouver un travail et « qu’en fonction du calcul opéré par le premier juge pour déterminer la perte de gains professionnels futurs, l’indemnisation sera de 351 796,78 euros : 2 = 175 898,39 euros ».

La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers : « […] En statuant ainsi, en divisant par deux la somme allouée à la victime au titre de la perte de gains professionnels futurs en raison du refus d’un poste proposé par l’employeur, la cour d’appel a violé le texte susvisé » [L’article 1382 du Code civil, « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »].

Quelle est la place de cet arrêt dans la jurisprudence de la Cour de cassation ?

D’ordinaire, la jurisprudence n’est pas bien disposée à l’égard de la mitigation, à l’exemple de cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 19 juin 2003 :

« Attendu que l’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, qui exploitait un fonds de boulangerie, et sa fille ont été blessées le 12 septembre 1984 dans un accident de la circulation dont M. Y… a été reconnu responsable ; que Mme et Mlle X… ont assigné ce dernier en réparation de leurs préjudices ; Attendu que pour rejeter la demande de Mme X… en indemnisation de son préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce et celle de Mlle X… relative à la perte de chance d’avoir pu reprendre un fonds de commerce prospère, l’arrêt retient que si Mme X… affirme que son fonds de commerce, resté inexploité jusqu’en mars 1990, avait perdu toute valeur puisque la clientèle avait disparu et le matériel était devenu obsolète, elle avait la possibilité de faire exploiter le fonds par un tiers et que si elle a choisi de le laisser péricliter, elle ne saurait en imputer la responsabilité à l’auteur de l’accident ; que la perte de valeur du fonds n’étant pas une conséquence de l’accident, Mlle X… ne pouvait en demander réparation à l’auteur de l’accident ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressort des constatations de l’arrêt que Mme X… avait subi, du fait de l’accident, pendant de nombreux mois une incapacité temporaire totale et partielle de travail, puis qu’elle avait conservé une incapacité permanente partielle l’empêchant de reprendre son activité de boulangerie, ce dont il résultait l’existence d’un lien de causalité directe entre l’accident et le préjudice allégué, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Que le rejet de la demande de Mlle X… relative à la réparation de la perte de chance alléguée doit être annulée par voie de conséquence » (Cour de cassation, deuxième chambre civile, 19 juin 2003 ; voir Revue Trimestrielle de Droit Civil, 2003, p. 716 obs. P. Jourdain – adde J.-L. Aubert, « La victime peut-elle être obligée de minimiser son dommage ? » Revue de Jurisprudence de Droit des Affaires 2004, p. 355).

« La victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ».

En ce sens, on peut se tourner vers autre arrêt de la Cour de cassation : « Il ne peut être exigé d’une victime de persévérer dans la recherche d’un emploi en atelier protégé et de tenir compte des revenus théoriques qui en auraient découlé dans le calcul de ses pertes de gains professionnels futurs. » (Cour de cassation, deuxième chambre civile, 28 mars 2013, N° 12-15373).

Enfin, récemment : Le refus d’un patient, victime d’une infection nosocomiale, de se soumettre à des traitements médicaux ne limite pas son droit à indemnisation (Cour de cassation, première chambre civile, 15 janvier 2015, N° 13-21.180).